La fin des temps

La montre-bracelet de Netsuko indiquait quatre heures et trente-trois minutes. "C'est donc maintenant que je vais mourir" se dit-il en reprenant connaissance. Il faut dire que la situation n'était guère réjouissante et n'offrait aucun espoir au jeune homme âgé d'à peine 17 ans.

Le ciel était rouge orangé, parsemé de nuages aux couleurs aussi inquiétantes qu'indéfinissables. Quelques rares rayons de lumière parvenaient à traverser l'atmosphère et à frapper un sol totalement dévasté. Les flashes des éclairs martelaient les façades des rares constructions encore debout. Sur la totalité du globe la végétation avait été remplacée par une fine poussière noirâtre, comme de la suie redéposée après un grand souffle.

Le monde était méconnaissable. Tout, sur la Terre, était devenu hostile. La chaleur suffocante et, pire, le manque d'air pur; plus un gramme d'oxygène. Impossible de s'y tromper, c'est la fin des temps, l'apocalypse, la fin de tout.

Netsuko se trouvait au sommet de la tour Yokonima, dans laquelle les derniers habitants encore en vie s'étaient regroupés. Depuis cette pointe de survie on dominait la ville. "Même ici ça commence à devenir irrespirable" dit une femme allongée sur les dalles en granit blanc. Netsuko s'approcha d'elle et lui demanda son nom. Elle s'appelait Kawashi et était âgée d'une quarantaine d'années. Les mots qu'elle prononçait étaient espacés de longs silences pendant lesquels elle essayait de reprendre son souffle.

La chaleur était insupportable; au moins soixante degrés. Les vêtements que portait Netsuko étaient sales, déchirés et lui brûlaient la peau. La sueur lui irritait les yeux qu'il avait du mal à garder ouverts. En bas, les rues étaient jonchées de cadavres. La plupart de ces gens étaient morts en tentant de grimper sur les murs des immeubles pour chercher un peu d'air. Les autres sont morts brûlés par la chaleur du sol.

Dans un de ses derniers instants de conscience, Netsuko était face à l'ironie de la situation. Une fois de plus, l'humanité était hiérarchisée et les individus restés au bas de la pyramide étaient les premiers à succomber. Netsuko y voyait un signe, un avertissement donné aux hommes pour leurs erreurs passées. Mais il était trop tard.

Trop tard pour changer quoi que ce soit, trop tard pour éviter de commettre continuellement les mêmes erreurs, trop tard pour une nouvelle destinée. Les hommes étaient seuls. Dieu avait abandonné ses troupes, sans doute lassé par tant de stupidité. Le Tout-Puissant procédait à une "réinitialisation complète"; tant pis pour la sauvegarde de l'humanité.

Les yeux de Kawashi se fermèrent doucement et son visage s'apaisa aussitôt son dernier souffle expiré. Netsuko regardait la femme sur le sol, sans éprouver aucune tristesse. Il semblait envier Kawashi qui venait d'être libérée d'une fin sans solution. Tous, autour de lui, étaient éteints. Il restait seul parmi les corps sans vie.

Netsuko était comme un poisson hors de l'eau. Il sentait que ses poumons ne captaient plus d'oxygène. Impossible de bouger. Il sentait sa vie lui échapper. Il sentait sa pensée flotter dans le vide. La lumière n'était plus qu'une vague lueur atteignant difficilement le fond d'un puits. Netsuko pensa "maintenant c'est terminé"; il s'endormit.

Ainsi est mort Netsuko, 17 ans, dernier homme sur terre, victime des erreurs de tous ceux qui l'on précédé.