mardi 20 janvier 2009

Tony, épisode 3. Un espoir


Tony a dû perdre conscience, pour autant qu'un cerveau puisse perdre conscience. On perd conscience par rapport à son corps, mais, quand il n'y a plus de corps, cela équivaut à ne plus exister.

Tony revient à lui. Pendant un bref instant il ne sait plus qui il est, ni où il est. Plus les idées lui reviennent, plus il panique. Astreint à une vie consciente dans la pire des prisons qui soit, un bocal. Obligé de vivre sans pouvoir bouger, jamais il n'aurait pu imaginer que cela puisse exister. Le sentiment est tellement impossible, tellement inimaginable, que Tony, par moment, croît encore à un rêve.

Le plus déprimant est de penser que cette situation est irréversible. Plus jamais il ne retrouvera ses jambes, ses doigts, ses poumons, sa langue, son apparence. Sa plus grande crainte est qu'il puisse, où plutôt qu'il soit obligé, de vivre éternellement. Il sait bien qu'un cerveau s'altère graduellement, que ses neurones meurent à un rythme effréné. Mais ceux qui l'ont mis dans ce bocal ont des connaissances scientifiques hors du commun. Seraient-ils également parvenus à préserver l'état d'un cerveau ad vitam aeternam ?

Cette question ne devrait pas se poser. Du moins, elle n'est pas fondamentale. Sauf pour quelqu'un qui est confronté à l'inimaginable, au pire des supplices: condamné à penser sans agir.

Du coup, Tony oublie ses voisins. Après tout, il n'est pas seul. Maigre réconfort, mais lueur d'espoir tout de même. Le propre de l'être humain n'est-il pas que sa pensée peut contrôler et dominer ses instincts ?

Tony se concentre alors sur la personne, en fait le cerveau, en fait le bocal qui se trouve à une trentaine de centimètre du sien, sur une étagère. Dans une pièce entièrement carrelée de blanc, comme une morgue.

Il fait l'inventaire des moyens de communication à sa disposition, mais, avec ce qui lui reste de corps, il ne voit que deux petits muscles pour espérer s'exprimer. Il fixe les yeux d'en face et essaie de contrôler ses pupilles, comme on peut parfois le faire volontairement.

Son vis-à-vis a une paire d'yeux bleus, très beaux. Il se prend à imaginer qu'ils appartiennent à une femme. Tout à coup, ils s'animent. Leur pupille se contracte et se dilate de manière irrégulière. Son idée était la bonne. Il a l'impression d'une ébauche de communication, ou du moins d'une prise de contact.

Pendant de longues minutes il observe ce faible mouvement et essaie d'en décrypter la signification. Serait-ce du morse ? De toute manière il ne connaît pas le morse. Au mieux, il se souvient de la lettre A, un point suivi d'un trait, et de la lettre E, un point. C'est insuffisant.

Le cerveau d'en face interrompt ses mouvements pendant un bon moment, probablement déçu par le manque de réaction de Tony.

Quand on en est condamné à penser, on gamberge, on divague, on se fragmente, mais, en fin de compte, on s'organise. Voilà que les mouvements d'en face reprennent, différents, avec des séquences plus longues, séparées par des temps de repos. Après une série de signaux, un repos plus long. Puis tout recommence, dans le même ordre. Visiblement on lui répète le même message en continu.

Tony passe en revue tout ce qui pourrait lui permettre de déchiffrer ce code, quand tout à coup il comprend. Il rayonne, il est heureux, il peut communiquer avec quelqu'un. Il a compris le message: "HELLO". Chaque lettre est représentée par autant de signes que son numéro d'ordre dans l'alphabet.

Il se reprend et se fait un résumé de la situation. Il est dans un bocal, sans savoir où ni pourquoi. Il n'est pas seul. Il ne rêve pas, puisqu'il peut communiquer avec son entourage. Et de toute manière, si c'est un rêve, c'est encore mieux, car tout rêve a une fin.

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