vendredi 16 janvier 2009

Tony, épisode 2. Pourquoi ?


Tony est enfermé dans un bocal. Il est vivant, mais n'a plus de corps. Néanmoins, il pense, il voit (un peu trouble) et entend très mal. Serait-il réduit à l'état d'âme ? Depuis environ deux jours qu'il a découvert sa nouvelle vie, il se pose des questions.

S'agit-il d'une nouvelle vie ? Est-il lui ? En tout cas il réfléchit comme lui. Ce lui ne peut pas être quelqu'un d'autre.

Une chose est sûre: il ne peut pas bouger. D'ailleurs son image lui indique qu'il n'a pas de corps. Ou plutôt que, là où il est censé se trouver, il y a un bocal avec une sorte de grosse éponge baignant dans un liquide jaunâtre. La grosse éponge c'est donc lui.

Il tente une nouvelle fois d'analyser ce qu'il voit. Il ignore s'il a encore des yeux, mais il essaie de les cligner afin d'augmenter son acuité visuelle. Comble de l'horreur, cette fois il se voit, c'est bien lui. La chose qui flotte dans le bocal n'est autre qu'un…cerveau.

Inimaginable, impossible, répugnant. Il est son cerveau, mais son cerveau uniquement. Tony ne comprend vraiment plus rien et sent qu'il va s'évanouir. Ses idées sont totalement enchevêtrées. Il est en état de choc. Il pense qu'il va mourir, ou pire, qu'il est déjà mort.

Il regarde plus attentivement son reflet dans la vitre et aperçoit deux globes oculaires à côté du cerveau. Ses yeux, juste des yeux, reliés au cerveau par deux lambeaux croisés. Il comprend mieux les deux images discontinues, le flou, les mouvements d'ondulation. En revanche, il ne voit pas d'oreille, alors qu'il est sûr d'avoir entendu des sons très cotonneux.

Voilà, il est dans un bocal. Il est vivant, il a deux yeux trop écartés. Le fonctionnement de sa matière grise constitue sa seule activité possible. Il ne peut pas pleurer, bouger, parler, se taper la tête contre les murs, se suicider. Mais voilà Lolita qui revient, accompagnée par une sorte de médecin en blouse blanche qu'il lui semble reconnaître.

Dans la vitre, Tony observe le professeur, comme il a décidé de le surnommer, qui farfouille dans le bocal, derrière le cerveau. Il ajuste un appareil duquel sortent de minces tuyaux. Tony se concentre et parvient à capter péniblement ce que dit le professeur. "La pompe doit toujours fonctionner, Clémence. C'est vital. Nous avons failli le perdre à cause de vous. Il faut espérer qu'il n'y aura aucune séquelle grave. Vous savez, un cerveau en manque d'oxygène peut générer une amnésie quasi-irréversible."

Pompe ? Oxygène ? Amnésie ? Tony fait tout son possible pour comprendre. Amnésie, oui; il se rend bien compte qu'il n'a aucun souvenir. Irréversible, il espère que non.

Aurait-il eu un accident ? Il est peut-être mort, et seul son cerveau a pu être maintenu en vie. Les deux mains de Lolita, ou plutôt Clémence, saisissent le bocal et le transporte dans une autre pièce. Pendant le trajet, Tony essaie d'observer, mais il ne voit rien. Trop de vagues dans ce bocal. En plus, les deux images se désolidarisent. Forcément, ses yeux flottent et bougent avec le liquide.

Clémence le pose sur une étagère. Face à lui, il voit un bocal, identique au sien, avec un autre lui dedans. L'aurait-on placé devant un miroir ? Non, dans son bocal il y a encore des mouvements de liquide, mais pas dans l'autre. Tony comprend qu'ils sont deux prisonniers. Ils sont même plusieurs, car à travers le bocal de son vis-à-vis il peut voir un alignement d'au moins dix bocaux. Plus loin, c'est trop flou.

Non seulement il vit dans un bocal, mais la pièce regorge de cerveaux flottants. Tout devient noir. Plus rien. Plus une image, même plus une pensée.

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