Un truc énorme

Un truc énorme, noir, d'une apparence gluante sur la face avant. Deux sortes de poignées sortent presque au ras du sol. A quoi pourraient-elles servir ? Cette chose n'avance pas, on a juste l'impression qu'elle pulse, plus précisément qu'elle se contracte et se dilate au rythme d'environ un battement toutes les deux secondes. Organisme vivant ou construction artificielle ? D'où vient-elle ? Depuis quand est-elle là, au milieu du carrefour ? Autant de questions que semblent se poser les personnes qui l'entourent.

Derrière elle une traînée noire d'une dizaine de mètres de long qui fait penser, de loin, à une trace de freinage. Un jeune garçon m'explique qu'elle semble profondément ancrée dans le bitume, et que de temps à autre un orifice s'ouvre à un mètre du sol, laissant entrevoir une lueur rouge, un peu comme du magma. Sa mère l'interrompt brutalement, alors qu'il voulait encore me parler de la chose. Elle me dit: "Ne faites pas attention à ce qu'il dit, il adore la science-fiction et il a tendance à voir des monstres partout".

Je m'éloigne de quelques mètres et le garçon semble vouloir me dire encore quelque chose. Sa mère le tire par un bras et de l'autre il me fait comprendre par des gestes que quelqu'un a été écrasé par le bloc noir. Sa mère le happe, il disparaît dans la foule. Je n'en saurai pas plus.

J'essaie de contourner l'étrange objet. Sur son côté droit, pour autant que j'aie correctement déterminé où se trouve le devant, une dizaine d'orifices d'environ cinq centimètres de diamètre laisse sortir de manière saccadée, mais sans pression, des sortes de pets odorants. Je reconnais cette odeur parmi des milliers: la laine mouillée. Je la déteste, je ne la supporte pas. Je la repère parfois sur des personnes d'une hygiène plutôt douteuse ou sur des linges humides, parfois même sur des animaux. Rares sont les personnes qui parviennent à identifier cette odeur et, lorsqu'elles y arrivent, elles la trouvent très légère et pas désagréable.

Pourquoi diable cette odeur sort-elle de ce mastodonte ? Cela m'intrigue et me tarabuste au point de me faire oublier l'essentiel, la présence-même de ce pseudo cube d'une dizaine de mètres de côté, posé sur un muret bordant le carrefour, ce qui le fait pencher légèrement. En regardant fixement le haut du monstre, je distingue, par transparence, la lumière du réverbère situé derrière. Etrange.

Tout à coup l'immense forme noire se transforme en une sphère quasi parfaite, et son équateur devient lumineux, d'un blanc laiteux, comme les multiples dents d'une bouche à 360 degrés. Petit à petit la calotte supérieure entre en rotation rapide. Les curieux reculent de quelques mètres. La rotation se transmet également à la partie inférieure. Plus elle tourne vite, plus la boule noire devient transparente.

Il est maintenant possible de voir les gens à travers la boule. Encore une ou deux minutes et il ne reste plus rien. Quelques téméraires travers l'espace laissé vide sans aucun problème. Il n'y a plus rien. Hallucination collective ou réalité ? Peut-être ai-je rêvé?

Le lendemain, personne ne parle de l'événement dans le quartier. J'essaie de poser des questions, mais personne ne semble se souvenir de quoi que ce soit. Je traverse le carrefour et je sens cette fameuse odeur de laine mouillée. Je n'ai pas rêvé. Mais alors, quoi ?