mardi 6 novembre 2007

Tous aux abris !


La Suisse, cœur artificiel de l'Europe puisqu'elle n'en fait pas partie, est une sorte de couteau; petit mais y a tout dedans, de belles montagnes, de beaux lacs, mais aussi de beaux habitants, avec de belles maisons.

Les habitations helvètes, qu'elles soient situées au nord ou au sud des Alpes, ont toutes des caractéristiques communes. Chacune dispose de chambres, d'une cuisine, de fenêtres avec de jolis rideaux aux motifs edelweiss. Rien de plus banal. Les enfants les dessinent avec des toits pointus, une cheminée tordue et, souvent, une porte et quatre fenêtres. Mais, comme les passagers du Titanic l'ont appris à leurs dépends, trente pour cent seulement de l'iceberg est visible.

En 1971, une nouvelle loi fédérale fait son entrée dans la liste des incongruités suisses. Elle prévoit que tout citoyen doit pouvoir bénéficier d'un abri antiatomique en cas de guerre, séisme, cataclysme nucléaire ou de pandémie mondiale de grippe aviaire. Le pays a beau être neutre, la volaille et les atomes ne le sont pas. A cette époque, les "méchants russes" menacent quotidiennement le pays; ils peuvent l'envahir d'une minute à l'autre. Le danger est imminent. Cette loi tombe sur les Helvètes, une fois de plus, comme une massue. Construire des abris antiatomiques pour toute la population suisse, en voilà une idée qu'elle était bonne (surtout pour certains) !

La protection civile se voit alors chargée d'une nouvelle mission: aménager de gigantesques abris collectifs en plein centre-ville afin d'y loger poules, cochons et crustacés en cas de guerre. Souvent, les écoles font office de passerelle d'entrée vers ces paradis inviolables. Ces tunnels enfouis à des kilomètres sous terre suffiront-ils à loger tous nos petits-suisses ?

Un grand plan à l'échelle nationale est alors en marche. Toutes les nouvelles constructions devront désormais comporter un abri antiatomique. Fini le temps où une maison pouvait être posée à même le sol. Toutes les bicoques, les cabanes de jardins, les niches à SDF devront disposer d'un sous-sol en béton armé de deux mètres d'épaisseur.

La réalité dépasse la fiction. Chaque maison individuelle ou immeuble helvétique dispose d'un abri muni d'une aération filtrée, d'une porte en béton armé de plusieurs tonnes et de quoi faire vivre douze personnes pendant six jours à l'abri de l'air contaminé et de la lumière. Les toilettes chimiques sont bien sûr incluses dans la panoplie.

Mais depuis, les temps ont bien changé. Les méchants ne sont plus les mêmes, les abris ont tous été construits. Ceux qui devaient s'enrichir se sont probablement enrichis.

Et voilà que depuis quelques années ces "méchants russes" viennent de plus en plus nombreux en Suisse, mais uniquement en tant que riches touristes ou hommes d'affaires cherchant à placer leur fortune en lieu sûr. Que faire alors de ces locaux à l'inertie thermique hors du commun ? La majorité des Suisses les utilise comme garde manger, cave à vin ou carnotzet. Certain y font pousser du chanvre à la lumière artificielle, d'autre y stockent les armes et les munitions de l'armée. Parfois même, on y retrouve une adolescente enfermée depuis quinze ans (non ! C'était en Autriche).

Pendant toutes ces années antiatomiques les suisses ont été d'une naïveté exemplaire. En cas de guerre nucléaire chacun d'eux aurait eu l'avantage de vivre six jours de plus que les autres. En effet, c'est un grand privilège de vivre à huit personnes dans dix mètres carrés pendant six jours et de sortir enfin, de voir tous ces cadavres brûlés et déchiquetés, pour crever comme un chien, accompagné de ces visions idylliques. Finalement 20'000 euros pour vivre à dix dans une cellule pendant six jours, ça ne fait qu'environ 300 euros par personne et par jour. Ce n'est pas cher pour avoir le droit de vivre en direct la mort des autres.

Il n'est pas rare qu'une maison de quatre habitants doive disposer d'un abri antiatomique pouvant "stocker" dix personnes. Imaginons la réaction de nos quatre habitants enfermés dans leur tombeau suite à une guerre nucléaire, qui entendent au dehors plusieurs personnes leur demandant de les laisser entrer. La solidarité sera-t-elle plus forte que la mort ? Vous le saurez dans le prochain épisode de "Laisse entrer nos voisins, ils sont radioactifs".

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