lundi 21 avril 2008

L'art est nié: le retour


Les salles de cinéma sont devenues les cages d'escaliers des temps modernes, les halls d'immeuble pour adolescents en rupture. Ces mangeoires payantes n'ont pas fini de nous étonner. L'évolution logique de ces lieux obscurs nous réserve encore quelques surprises.

Avant 1895 et les frères Lumière, il n'y avait aucun moyen d'assister à un spectacle animé, mis à part les trous de serrures et le théâtre, dont l'avantage était de posséder une bande son. D'ailleurs si ceux deux frères s'étaient appelés Intel, ils auraient sans doute inventé l'ordinateur quelques décennies trop tôt. Vive les aptonymes!

Pendant quelques années le cinéma pouvait engager des acteurs non-entendant, ou non-parlant, au teint plutôt terne et à la démarche saccadée. En bref, des sourds-muets. Les aveugles n'ont jamais eu leur heure de gloire au cinéma. Dommage, cela nous aurait valu des sous-titres en braille. Chose étonnante, à cette époque du cinéma en noir et blanc, la plupart des acteurs étaient blancs.

Dès que les acteurs apprirent à parler, à marcher moins vite et à se maquiller, le cinéma moderne apparut. Couleur, relief, odeurs...tout y passe. La vraie vie en somme.

Depuis la couleur, plus aucune innovation technique majeure. Le cinéma stagne, il piétine, les spectateurs s'ennuient, ils délaissent les lanternes magiques. La crise! C'est alors qu'une nouvelle race d'exploitants d'images payantes surgit. Ils tapent où ça fait mal et inventent le ciné-popcorn. Issu d'un croisement transgénique, le maïs dont il provient augmente l'acuité visuelle et les facultés de compréhension, lorsqu'il est consommé à hautes doses. Cela explique que la portion de base frise le mètre cube. Le ciné-popcorn est le seul aliment qu'il est possible d'avaler pendant plusieurs heures sans avoir ni nausée, ni dégoût, ni l'impression de manger ni de grossir.

Une récente étude a démontré que les effets bénéfiques du ciné-popcorn ne sont qu'un leurre. Au contraire, cette variété atténue la faculté de jugement et diminue le taux de fécondité des cinéphiles.

Malgré cela le ciné-popcorn coule toujours à flots dans les prisons à mono mur blanc. Mieux, puisque cette délicieuse céréale soufflée ne remplit pas l'estomac, ajoutons du liquide, dont le prix au mètre cube est bien supérieur à celui du popcorn.

Nous voici donc avec de nouveaux spectateurs, mangeant et buvant. Et le film ? Oui, au siècle dernier on allait "voir un film". Maintenant on se dit: "Tiens je mangerais bien quelque chose. En plus j'ai une de ces soif...Parfait, allons au cinéma!". "Mais pour voir quel film ? C'est égal, pourvu qu'il soit assez lumineux".

Finalement, si on additionne le prix du billet d'entrée, celui d'un mètre cube de popcorn et de quatre ou cinq litres de coca, on obtient une somme inférieure à ce que coûte un repas au restaurant. A la sortie l'estomac est plein, on ne grossit pas, la lumière était tamisée, les fauteuils plus confortables que dans le meilleur des trois étoiles. Et surtout on aura bien gâché le spectacle à ceux qui venaient pour lui. Mais encore un petit effort et bientôt il y aura uniquement des repas servis au cinéma.

Mais, et il y a un mais de taille. C'est entendu, chacun admet qu'un être humain ne peut pas rester 90 minutes sans manger et sans boire. C'est bon, on a compris que l'important n'est plus le film, mais la nourriture. On oublie le cheminement naturel et parfois accidentel d'un repas. L'urinoir et le sac à vomir deviennent vraiment indispensables.

Les prochaines salles de spectacle seront directement conçues avec, sous chaque fauteuil, un tube surmonté d'un embout en caoutchouc comme les trayeuses automatiques, que tout un chacun pourra utiliser, par intermittence ou en continu.

En cas de surcharge ou de mauvaise qualité de popcorn une trappe à vomis permet de se délester rapidement du surplus inutile et de reprendre le cours du film. Pardon, du repas!

La dernière étape de la longue évolution des salles obscures consistera à remplacer le film par un simple projecteur de lumière.

La boucle est ainsi bouclée, les frère Lumière redeviendront lumière.

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