jeudi 26 avril 2007

Le blog m'a tuer

Avec internet les blogs remplacent avantageusement le canapé des psychanalystes. Sur la toile chacun a la possibilité d’étaler en toute impudeur ses angoisses et ses contrariétés. C'est l'habitude qu'a prise Norbert depuis qu'il s'est abonné à Alice, une voisine qui bosse dans la communication.

Tout commence un soir de décembre 2005. Les fenêtres sales du sordide petit studio de banlieue laissent entrevoir un paysage dévasté, ponctué ça et là de voitures incendiées. Mais Norbert se moque de sa chambre avec vue. Sa vision d’avenir, sa nouvelle raison de vivre, c'est le blog qu'il vient de créer grâce à son PC au tuning douteux.

Norbert vit seul et depuis la dernière élection de miss France il cherche l'âme sœur. Tous ses espoirs reposent sur son journal. Il compte emballer les filles et a choisi un pseudonyme au nom évocateur : Norbite. On reconnaît bien là toute la finesse de Norbert.

Affalé devant son écran, une bière posée sur le tapis de souris pour éviter de marquer la table en stratifié, il cherche sa première phrase, l'essence même de l'histoire qu'il va raconter. Mais rien ne vient, la page reste blanche. Norbert parvient péniblement jusqu’à son coin-cuisine et se venge sur un pain au chocolat.

Quelques heures et un match de foot plus tard, Norbert tient le début de son histoire, cette agglomération de mots savamment choisis qui vont le transformer en star : "Bienvenue sur le blog de Norbite, c'est cool les blogs". Ouf ! Des idées se forment dans son esprit. Il est transcendé par une inspiration quasi divine, mais bientôt le sommeil lui tippexe sa mémoire. Il s'endort.

Les semaines puis les mois défilent. Sur son blog Norbert dévoile frénétiquement ses journées et ses nuits. Pas un détail ne manque. Du traditionnel Nespresso matinal avec ses collègues de travail aux manœuvres délicates pour garer sa voiture, tout y passe.

Le quotidien de Norbert est consigné dans ses moindres détails. Mais, tel un manuel d'aide à la résolution du jeu du taquin, sa vie n'a strictement aucun relief. Une existence sous perfusion, pas le moindre événement original.

Un soir de Star Académie, seul devant son écran, Norbert déprime. La rubrique commentaires de son blog reste désespérément vide. Tout à coup, un compteur brise la loi du silence et passe de 0 à 1. L'adrénaline envahi instantanément son système nerveux parasympathique et redresse d’un coup sec sa colonne vertébrale recourbée. Quelque un vient de lui écrire.

Le texte laissé par cet inconnu est cinglant de vérité. Sans aucune diplomatie, il détruit l’existence de Norbert avec des mots qu’il est inutile de préciser.

Norbert s’écroule sur les touches de son clavier, provoquant l’affichage de cinq mots qui résument sa vie.

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