mercredi 10 juin 2009

Mon nombril


Depuis mardi dernier, mon nombril m'inquiète. Je vis avec depuis trente ans et jamais le moindre problème. Seule une esthétique discutable, surtout vu de profil, pourrait m'encourager à demander des explications à ses créateurs. Il est vrai que cette fossette abdominale, ce cul-de-sac anatomique, est le seul vestige qui nous rappelle cette vérité implacable. Nous sommes adultes et de moins en moins vaccinés, mais nous ne sommes pas nés spontanément, d'une lumière divine ou autre événement paranormal.

Nous avons tous une mère; la personne qui se trouvait précisément à l'autre extrémité de nous. Nous avons tous l'empreinte de cette personne sur le ventre. Vivons-nous dans une société à tel point matriarcale, pour que seule la mère nous laisse une telle trace indélébile ? Pourquoi n'avons-nous aucun vestige paternel du même genre ? Curieux.

Le nombril reliant l'enfant à sa mère, pourquoi l'extrémité de ce lien symbolique est-elle visible uniquement sur l'enfant ? Une mère ne devrait-elle pas garder autant de nombrils qu'elle a d'enfants ?

Le fait est que mon cher ombilic m'intrigue au plus haut point. ier il a avalé une cacahuète. Je regardais le commandant Cousteau aux prises avec un hippocampe de deux tonnes. Dans ce genre de situation, les petits suppositoires bronzés sont inévitables. L'un d'entre eux m'échappe et se retrouve sur mon nombril. J'essaie de le saisir, mais je n'y parviens pas, comme s'il était aimanté. Tout à coup il disparaît. Oui, dans mon nombril ! Je n'ai pas rêvé, Cousteau peut en témoigner.

Un nombril qui mange une cacahuète, c'est impossible. Alors je lui en propose délicatement une deuxième. Immédiatement elle disparaît sans laisser de traces. J'enfonce mon index pour vérifier que je suis bien étanche du ventre. Je le confirme, je peux encore pratiquer la natation sans risquer une noyade ventrale. C'est bien une impasse. Cela fait même très mal, probablement à cause de mes ongles de guitariste.

Absurde pour absurde, je tente l'expérience avec un grain de raisin; même résultat: avalé. J'essaie avec une banane, puis deux, puis trois. Pareil. J'essaie de me convaincre que je suis en train de rêver. Comment puis-je être sûr que je ne rêve pas ? Descartes non plus n'avait pas la réponse à cette question. Alors moi, vous pensez...

J'essaie encore avec deux melons entiers. Littéralement bouffés en un clin d'œil. Quel appétit! Et je ne me sens pas le moins du monde rempli. Une idée saugrenue me traverse l'esprit: essayer de jeter ma Tissot Touch en pâture à mon nombril. Ingurgitée, elle aussi.

Mais pourquoi donc mon doigt n'est-il pas absorber de la même manière ? Je dois arrêter de me poser des questions raisonnables dans une situation aussi déraisonnable.

J'ai enfin compris que je dispose d'un trou noir ventral qui annihile tout ce qui passe à proximité. Je sais que jamais personne ne me croira, alors je me suis fait une raison. Je l'utilise comme poubelle universelle. Déchets de jardin, huile de vidange, poussière, aliments périmés, tout y passe.

Une seule chose me tarabuste: que va-t-il arriver lorsque je rencontrerai une créature de rêve que j'aurais envie de serrer dans mes bras ?

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