mardi 3 novembre 2009

Martin s'analyse


Pourquoi toute cette glu ? Ses problèmes quotidiens ne suffisent-ils pas à lui altérer l'existence ? Martin se considère normal, au sens mental du terme. Il se demande encore si son environnement tourne au ralenti, ou si son esprit a gagné en agilité, comme libéré des tiraillements habituels. Il penche, par défaut, pour la seconde solution, sans pouvoir la justifier. Sans même y trouver une logique.

Martin n'est pas vieux, mais les années commencent graduellement et irrémédiablement à lui peser. Parallèlement, son cerveau s'émancipe et améliore ses performances. Il tente de développer son QE sans pour autant léser son QI. Tous les moyens sont bons: écriture, dessin, conversations, ou tout autre moyen de nourrir ce nouvel appétit, encore inconnu. Il doit canaliser, trier, sérier, jeter, mémoriser. Son esprit était un débarras; il essaye de le civiliser, de le rendre présentable.

Mais Martin vit mal cette nouvelle existence, à la fois exaltante et inquiétante. Le poids du QI, les liens de l'expérience, le besoin constant d'explications sont mis à mal par une clairvoyance inexpliquée, lui faisant parfois douter de la réalité.

Entre la vivacité de sa pensée et l'état comateux de son entourage, il y a son corps. Heureusement que seul son cerveau a gagné en vitesse. De cette manière son physique le maintient attaché à la réalité, lui évitant des problèmes psychiques certains.

Le fait même de parler le handicape, car ses pensées doivent ralentir afin que les mots puissent être articulés. Ces mots sortent de sa bouche comme un nouveau-né d'une mère qui ne veut plus le reconnaître. Seul l'accouchement l'intéresse. L'avant, c'est sa nature. L'après est voué à naviguer dans le temps, ou à se perdre à tout jamais, sans que cela lui pose un quelconque problème.

Martin a même songé à ralentir son mental, mais n'y est jamais parvenu. Dans une banale conversation, il est en mesure d'analyser à plusieurs niveaux les flux échangés, en même temps qu'il réfléchit et qu'il improvise une réplique judicieuse, percutante, ou alors volontairement décalée. Rien ne lui ferait plus plaisir que d'être compris par les gens qu'il aime. Mais compris entièrement, subtilités cachées comprises; pas seulement entendu.

Il lui est déjà arrivé, en de trop rares occasions, d'avoir la sensation d'être compris. Quel bonheur! Pas besoin de répéter, expliquer, reprendre, préciser. Un échange de cerveau à cerveau, directement au bon emplacement de la mémoire. Dans ces circonstances, il tourne à plein régime.

Mais la plupart du temps, Martin se réfugie dans l'autosatisfaction de parler, en oubliant la frustration d'être incompris. Il fonctionne de cette manière probablement depuis son enfance, ce qui lui a permis de tenir le coup dans cet environnement qui ne lui est pas adapté.

Ce handicap, car c'en est un, a perturbé son parcours scolaire. Ses études de biochimie furent survolées, sans plus, mais brillamment réussies.

Pauvre Martin

Préférerait-il être dans la glu, comme les autres, et ne pas se poser toutes ces questions ? Finalement, non.

Aucun commentaire: