mardi 20 mai 2008

Permis de tuer


Parfois, éviter les conflits crée des problèmes. L'Helvétie, n'ayant pas d'accès à la mer, a été créée pour ne pas faire de vagues et elle y parvient fort bien. Si le Petit Larousse illustré de 1983 qualifiait "avalanche" de "mot de la Suisse romande", "conflit" est pour sa part complètement absent des langues nationales suisses.

Le pays du fromage levant gagne beaucoup plus en royalties lors d'avalanches qu'il ne doit en payer en cas de guerre. D'ailleurs les Suisses ne parviennent pas à prononcer le mot "conflit", ni à en créer un.

En Suisse, même les bateaux ne font pas de vagues. Dans les restaurants l'eau est désespérément plate. Dans les banques, l'argent liquide est soumis à un secret inaliénable. Les débats publics sont consensuellement ternes et ritalinisés. La Suisse est un village dont les prisonniers tentent continuellement de s'échapper et sont systématiquement reconduits dans leur chambre numérotée, surveillée et aseptisée.

Comment gérer les conflits dans une société, lente, mais tout de même développée ? En créant des permis. Chaque problème découvert débouche sur la création d'un examen, suivi d'un permis.

Un chien dévore un enfant ? Et hop, un permis pour détenir un chien méchant. Un chien gentil dévore un SDF ? Et hop, un permis pour détenir un chien gentil. Un Yorkshire se fait bouffer par quelques mouches ? Son propriétaire devra suivre un cours de psychologie pour détenteurs de Yorkshire.

Tout le monde y trouve son compte. Les services proches des animaux (non, pas la poste!) applaudissent des deux pattes à la création de permis, puisqu'ils pourront dispenserles cours correspondants et faire passer les examens. Une manne aussi alléchante qu'inespérée.

En ville les méchants cyclistes ne respectent rien, roulant sur les trottoirs, ignorant les feux et les panneaux de circulation, oubliant non seulement la loi, mais le moindre respect. Surtout, ne pas faire de vagues! Eviter les conflits et ne pas risquer de braquer les adeptes du deux roues sans moteur! Alors ? Ben voyons, pourquoi pas un permis! Cela découle d'une réaction socialo-égalitariste partant du principe que l'être humain est intrinsèquement bon.

On oublie que la société actuelle est une douce jungle dans laquelle chacun tente de survivre, toujours à la limite de la légalité, parfois en-deçà, mais souvent bien au-delà. Seul un excès de naïveté ou un manque total de discernement peuvent faire penser qu'un cycliste ayant subi des centaines d'heures de cours et d'endoctrinement va tout à coup se comporter correctement pour le restant de ses jours.

Les cyclistes s'en prennent plein la tête pour des raisons d'actualité, mais le même raisonnement vaut pour les automobilistes, les pirates informatiques, les tueurs en série et autres criminels.

Les voisins du pire des tortionnaires le trouvent sans doute très gentil et sympathique. Il est évident qu'il ne va pas crier sur les toits qu'il est le nouveau Landru.

Les comportements les plus inexcusables sont parfois le fait d'individus anodins et banals, telle la veille dame qui dépasse systématiquement tous les clients dans les files d'attente, avec un air innocent et timoré.

Notre monde de liberté, d'égalité et de fraternité est en fait un condensé d'hypocrisie, puante et désarmante. Cette situation mène directement à une distinction entre deux catégories, les dominants et les dominés, particulièrement observable en Valais.

Nous sommes partout et sans cesse entourés de crapules en habits du dimanche. Alors continuons à ne pas faire de vagues et à nous masquer la réalité; c'est le meilleur moyen de provoquer des fractures.

Etant incapables de limiter la vitesse des véhicules dans des zones dangereuses, nos chères autorités débordent d'imagination. Des séries de gendarmes couchés à peine endormis, des pots de fleurs en béton empêchant de se croiser, des zigzags artificiels sources d'encore plus d'accidents, des rues volontairement rétrécies afin de rayer les rétroviseurs de la surface de la planète, des alternances goudron-sable-rivières du meilleur goût. Toutes ces mesures ont comme unique effet d'irriter et d'aller totalement à l'encontre de l'objectif visé. Mais au moins cela ne fait pas de vagues, il n'y a pas de conflit. Aucun agent n'aura besoin de se confronter à un chauffard éméché, la configuration des rues est prévue pour faire le sale boulot, auto-régulante, anti-ergonomique à souhait, mais tellement déresponsabilisante.

En termes terre à terre cela s'appelle tourner autour du pot. Et cela n'a jamais été valorisant pour personne.

Moralité: au lieu de dire bonjour à votre voisin, envoyez un mail à votre femme pour qu'elle dise au fils du voisin de demander à sa mère de transmettre votre bonjour à son mari.

Aucun commentaire: