lundi 2 mars 2009

Tony, épisode 8. La panne.


Le téléphone sonne. Tony sursaute et sort de son sommeil en un instant. Il est quatre heures du matin. Heureusement sa femme n'a rien entendu et continue à dormir. Il prend le téléphone et descend au salon. Son collègue de travail Michel a absolument besoin de lui à la clinique, car une urgence nécessite la présence de deux médecins en salle d'opération. "Viens aussi vite que tu peux, Adrien. La patiente est dans un état critique. Je commence l'opération en t'attendant. Ah! J'oubliais. Cette femme, tu la connais très bien".

La lumière éblouit Tony, tel un projecteur dans les yeux d'un suspect. Pendant un moment il est complètement aveuglé. Ne pouvant pas fermer les paupières, il a mal aux yeux. Il essaie de se calmer, d'occulter mentalement la lumière. Petit à petit sa vue se normalise. Il aperçoit Juliette, toute paniquée. Elle essaie de lui dire en bégayant qu'elle a eu la peur de sa vie, mais que probablement il s'est agi d'une panne d'électricité.

Tony lui fait part de sa vision. En réalité il s'appelle Adrien. D'ailleurs il ignore pourquoi il a cru s'appeler Tony. Pour simplifier, ils décident de garder Tony, plus court à épeler. Il faut une bonne heure pour que tout revienne dans l'ordre. Heureusement que les bocaux sont munis d'accumulateurs, faute de quoi ils n'auraient certainement pas survécu. En fait, cela aurait certainement mieux valu pour Tony et Juliette que la panne dépasse l'autonomie des bocaux, car il se trame quelque chose d'inhabituel dans le local voisin. Ils le perçoivent par les vibrations transmises sur le sol, puis, indirectement aux bocaux.

Tony en profite pour mettre à contribution son embryon d'oreille, mais celle-ci manque cruellement d'exercice dans cet univers peuplé d'yeux. Tony n'est pas croyant, mais Dieu est une idée qui l'a déjà interpelé à plusieurs reprises, et dont il n'a jamais osé parler à Juliette.

Il écoute, du mieux qu'il peut, mais il manque de repères. Il ne sait pas comment, ni quoi écouter. S'il devait choisir entre sourd et aveugle, il n'hésiterait plus un instant. Beethoven a fait le bon choix.

Tout à coup Clémence traverse le local en s'écriant: "Il est vraiment trop con, ce Portier!" Malheureusement Tony ne la voit qu'en silhouette, du coin de l'œil, là où les images sont floues. En reconstituant la scène qu'ils ont vue chacun sous un angle différent, lui et Juliette n'en tirent aucune information utile, si ce n'est cette histoire de portier, autour de laquelle ils bâtissent une bonne dizaine de théories prenant en compte une porte et la panne de courant. Cet événement aura eu l'avantage de les distraire, sans plus.

Le lendemain, la routine: pensée le matin, philosophie après le repas de midi, et le soir, pour terminer, quelques idées noires et déprimantes. Inconsciemment l'épisode de la veille les pousse à agir, si l'on peut dire. Ils décident d'explorer d'autres moyens de communication. Tony se souvient vaguement des ondes alpha, sortes d'émissions électromagnétiques du cerveau, tout à fait décelables à l'aide d'appareils électroniques, donc bien réelles.

Puisque le cerveau peut les émettre, ils se disent qu'il doit forcément aussi pouvoir les détecter. Ils entreprennent donc de longues séances de concentration, avec divers protocoles pour les fréquences et amplitudes des signaux émis. De toute manière, ils n'ont rien d'autre à faire et parler avec les yeux, au bout de quelques semaines, ça fatigue.

Etonnamment, après quelques heures d'exercices, ils parviennent à ressentir des signes étranges, mais bien réels. Cette ébauche de communication à l'air de fonctionner. Ils s'adonnent à leur langage favori, le morse. Au début, cela reste bien plus laborieux qu'avec les yeux. Sur une idée de Juliette, ils essaient de se transmettre non plus des lettres et des mots, mais des images, puis de idées.

Pendant plusieurs jours leurs efforts restent vains. Jusqu'au moment où Tony voit apparaître dans sa pensée, une plage avec des palmiers, comme sur les prospectus d'agences de voyage. C'est en fait sa partenaire qui lui a transmis cette scène.

Encore quelques jours d'entraînement acharné, et voilà nos deux coupés du monde en train de communiquer à vitesse grand V. Ils utilisent un moyen que personne d'autre n'a jamais expérimenté. La télépathie à l'état pur, comme dans les films de science-fiction. Enfin une compensation à leur triste sort!

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