mardi 17 février 2009

Gratuit, c'est trop!


Les hommes des cavernes passaient le plus clair de leur temps à chasser, marcher, tailler des cailloux et se faire tuer par de méchants animaux sauvages. Tout se gagnait à la sueur de son front. C'était "bosse ou crève", mais c'était la belle vie. Pas de pollution, à part le barbecue de la grotte voisine. Pas de moyens de communication; ça tombait bien puisque les hommes n'avaient rien à se dire. De temps à autre ils se mettaient au dessin sur les parois du salon. Pour les femmes c'était plutôt l'oral que l'écrit. Pas de journal télévisé, ni de journal. Pas d'électricité, donc pas de factures. Pas d'état, donc pas d'impôts. Pas de lois; si, celle du plus fort. Plus tard, ce sera celles du plus riche. Mort assurée entre 25 et 30 ans, donc pas besoin de s'occuper des petits- enfants. Possibilité de se promener à poil, pas de coup de soleil, donc pas besoin de crèmes solaires. Pas d'Euro-millions, donc pas de jaloux. Une vie de rêve.

Un peu plus tard, vers 1950, stabilisation des acquis, créations de nombreux problèmes. Essais répétés de destruction de la planète, mais sans succès. Monde entièrement en noir et blanc, car pas encore de télévision couleur. Les riches comprennent qu'ils peuvent s'enrichir encore plus, les pauvres comprennent qu'ils n'ont qu'à la fermer. L'espérance de vie commence à dépasser l'âge de la retraite. L'euthanasie fait peur, on invente donc les rentes en cas de survie suspecte. Travail, beaucoup de travail, peu de loisirs, très peu de loisirs. Un film au cinéma une fois par année. Des enfants qui naissent sans arrêt. On essaie d'en noyer quelques uns, mais c'est plutôt mal vu. Vivre pour travailler et travailler pour vivre, aucune alternative, sauf être né dans une famille riche.

Dans les années 1970, l'avenir s'assombrit. Le travail commence à fatiguer les gens. A force de tirer sur la corde du profit, les marionnettistes provoquent des mouvements de revendications et des grèves. Le commun des mortels peut enfin taquiner les couches supérieures, sans être pendu ou jeté dans la fosse aux lions. Les loisirs s'organisent. Il manque uniquement quelques supports et vecteurs. Qu'à cela ne tienne, voilà les premiers PC, cassettes vidéo, films en tous genres, vacances balnéaires, concerts gratuits et exagérations en tous genres. Paradoxalement la diminution du temps de travail, va de pair avec l'apparition du chômage. Les hommes veulent travailler moins et les femmes veulent travailler. Certains trouvent encore le temps de lire ou d'observer. Les psys et les astrologues préparent leur entrée en force. L'ennui gagne certains; trop de loisirs tue les loisirs. La Lune n'a rien donné, la Chine non plus.

Et nous voici dans le 21ème siècle bien entamé. Le terme "plan social" a remplacé le mot "licenciement". Le rapport entre les hauts et les bas revenus n'a jamais été aussi grand, mais les Terriens sont contents. Finalement, les dirigeants ont compris la seule chose qu'il fallait comprendre: tant que les soumis ont de quoi s'amuser et se distraire, ils n'auront ni l'envie ni la force de se rebeller. Le superflu est devenu vital et le vital est devenu secondaire. Un civilisé occidental fera tout ce qu'il peut pour s'acheter une télévision et un abonnement de téléphonie mobile, voire d'internet, quitte à se serrer la ceinture. Sans parler de la voiture et des vacances.

Il y a beaucoup trop d'occupations potentielles pour le temps à disposition. Pour peu que l'on ait un travail, tout nous est disponible. Films, vacances dépaysantes, jeux, sorties, toutes sortes de formations, bref, le top. On veut un morceau de musique, internet nous l'offre, le plus souvent illégalement, mais il est à portée de main. L'industrie des médias n'a rien compris et commence à jouer aux gendarmes, alors que la situation n'est pas très claire. Taxes, répression et retaxes n'y changeront jamais rien. Ce n'est pas l'outil qui est inadapté, c'est l'obstination de certaines multinationales et leur refus de prendre en compte le changement de technologie, de mentalités et de comportements qui joue le rôle du bâton dans la roue. Ce ne sont probablement pas ceux qui tiennent le couteau par le manche qui vont gagner. Tous les filons se tarissent, les joailliers et les orfèvres ne vont pas pour autant disparaître.

Tout nous est dû. Nous manquons cruellement de temps, mais nous pouvons passer trois ou quatre heures par jour devant Faceblog ou Skybook. La gratuité du superflu nous envahi à tel point que même les produits gratuits et intéressants sont trop nombreux. Le gratuit ne suffit plus pour se faire connaître, on va même jusqu'à payer les utilisateurs de tel ou tel service. Tout coûte zéro euro, voire un euro. Parfois, pour un euro de plus, on reçoit des prestations ou des produits mirobolants. Le Terrien est de plus en plus heureux. Il peut s'en donner à cœur joie, connaître tout sur tout, acheter n'importe quoi n'importe où dans le monde. Mais comme c'est étrange, réchauffement climatique, crise financière, augmentation du chômage, de la criminalité, des maladies psychiques ou somatiques, allergies, nouveaux virus, disparition de la notion d'effort, lobotomisation virtuelle, Claire Chazal, Euro-Foot, Roland Garros, Benoît XVI, le bord du gouffre.

2025: Mad Max, épisode 1.

Quelques années encore et on retourne à l'âge des cavernes.

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