mardi 25 juillet 2006

Théorème de l'Etat fini

Dans la plupart des pays et des sociétés on constate souvent des dysfonctionnements graves, des incohérences, des aberrations et autres embrouillaminis kafkaïens , défiant toute pensée intelligente. D'aucuns regroupent ces situations illogiques sous le terme de "connerie" et ne peuvent s'empêcher de se poser la question fondamentale "a qui cela profite-t-il ?".

Il y a pourtant une explication: le théorème de l'Etat fini. Ce théorème est en mesure d'expliquer environ 80 pourcent des problèmes de ce genre. Son énoncé est très simple: "Chaque fois qu'une situation est inexplicablement absurde, deux pratiques peuvent en être la cause: des magouilles politiques ou des magouilles financières".

Un sociologue connu, le professeur Black, a complété ce théorème en novembre 1998. Il a précisé que le "ou" n'est pas exclusif, à savoir que dans certains cas il s'agit de magouilles politique "et" ou "donc" financières.

Ce n'est absolument pas le but de donner ici des exemples, chaque lecteur pourra facilement en établir une longue liste rien qu'en observant attentivement son environnement quotidien.

Mais qu'en est-il des 20 autres pourcents ? Devant le manque flagrant de théorème et d'explications plausibles il reste une seule solution: la cause est vraiment la connerie. N'oublions pas que la connerie n'est pas une caractéristique de la nature, ni même des animaux, mais bien des être humains.

Malheureusement, il est préférable que les dysfonctionnements satisfassent au théorème de l'Etat fini. Dans ce cas, on tient au moins une explication. Mais dans le cas de connerie pure et dure, nous sommes plutôt désarmés pour trouver une réponse à la question: "à qui profite la connerie ?"

Moralité: il fallait bien un contrepoids au progrès technologique pour qu'en moyenne notre environnement reste moyen.

Le centre

Avez-vous déjà remarqué que votre nombril n'est pas le centre du monde ? Tout au plus le centre de votre ventre, voir de votre être tout entier si vous êtes symétriquement proportionné. Mais le centre de l'univers sûrement pas. Non, comme tout le monde le sait, le centre de l'humanité c'est la Suisse.

La Suisse, ses montagnes et ses vallées sont le centre de l'univers et de l'Europe. Comme le centre de gravité d'un fer à cheval situé en son milieu, la Suisse se devait de ne pas faire partie de la communauté européenne. Cette vieille dame aigrie et têtue tient absolument qu'on la remarque sur une carte géographique.

Mais où se trouve le centre de la Suisse ? Si la Suisse est un centre, elle doit bien elle-même avoir un centre! Et bien non, la Suisse dispose d'une multitude de centres.

On trouve d'abord le centre géographique: une sorte de tout petit village perdu dans le canton d'Obwald répondant au charmant nom de Giswil ce qui veut dire centre en helvète profond. Mais personne n'a pu dire ce qu'il y a au centre de Giswil, car aucun explorateur n'en est revenu vivant. Les Giswilois sont très conservateurs.

Il y a aussi le centre originel, le point zéro de l'époque où le vide régnait sur la matière, où la lumière allait plus vite que le son dans une fibre optique, où l'espace et le temps étaient de l'argent. À la naissance du pays, la pleine du Grütli exerça le rôle de centre natal de la petite Helvétie. Il s'agit d'un carré de pelouse situé au bord du lac des Quatre-Cantons et entouré par le mur de Plank.

Comme l'emplacement du centre de la Suisse semblait poser problème à nos têtes couronnées, elles décidèrent de créer le centre politique. La ville de Berne fut choisie pour incarner le rôle de capitale. Cette décision a au moins le mérite de regrouper toute la matière grise en fin de vie en un seul point: le palais fédéral.

Mais les puissants du marketing, ces alchimistes à problèmes transformant l'or en chocolat et le progrès en décadence, voulaient aussi leur centre des affaires et du commerce. Ils inventèrent alors la ville de Zurich, la business city by Google (BCBG) de la vie nationale, elle et son "Unique" aéroport. La ville se situe au fond à droite du lac du même nom, juste à côté de la surface cultivable.

Le centre international de la Suisse, c'est Genève, située tout à gauche du pays en regardant vers le pôle nord, et qui est irrémédiablement en train de se faire phagocyter par la France. Pour mieux situer Genève, les banquiers ont planté un énorme cure-dents en forme de jet d'eau. Comme souvent, ces garnements en cravate se sont magistralement ratés. Le centre de Genève est en fait l'île Rousseau; pas celle du douanier qui protégeait les frontières du centre du monde, mais celle de Jean-Jacques, cet illustre suisse!

On parle également de centre d'accueil. La majorité étant au centre, un centre d'accueil devrait se trouver à la frontière. Cela éviterait aux gens de traverser tout le pays avant d'être accueillis au centre. Il serait donc plus judicieux de créer des frontières d'accueil. Mais une frontière n'est, par principe, pas accueillante.

Trop de centres, trop de problèmes. Afin de résoudre les conflits il fallait mettre en place une stratégie efficace à base de compromis subtils. Un ingénieur spécialisé dans les emballages eut alors une idée: pourquoi ne pas déterminer le centre de la Suisse en traçant des lignes entre tous les centres ? Le point d'intersection serait alors déclaré comme l'ultima-veritas-centrum de l'univers !

Et la grande aventure débute. On commence par construire des routes, puis des ponts et ensuite des tunnels pour relier les centres entrent eux. Les tunnels du Gothard et du Lötschberg sont percés. Des autoroutes de contournement font leur apparition. Et depuis lors, on trace en Suisse ! On cherche le centre de droite à gauche, du bas vers le haut; on pointe, on mesure, bref, on se regarde le nombril tous en cœur en sifflotant le dernier tube d'Alain Morisod.

Pourtant il existe une méthode toute bête permettant de trouver le centre de la Suisse, et donc de l'univers. Il suffit de la découper en suivant son contour sur une carte de géographie et de la faire tenir en parfait équilibre sur une aiguille. Au bout de l'aiguille se trouve le centre des centres de tous les univers, même jumeaux et parallèles.